L’histoire du bal de Sceaux
En 1799, la Société Propriétaire du Jardin et des Eaux de Sceaux fut créée par un groupe de notables mené par François Desgranges, notaire et maire, pour racheter le jardin de la Ménagerie afin de le préserver des investisseurs et de l’ouvrir aux habitants. La Société souhaitant relancer le commerce et trouver un financement pour entretenir le jardin de la Ménagerie, elle créa le bal de Sceaux. Depuis 1793 et un décret de la Convention nationale qui était soutenue localement par les membres de la Société des Amis de la Constitution Républicaine, Sceaux s’appelait Sceaux-l’Unité.
L’entretien du jardin, l’éclairage et le paiement des musiciens nécessitaient un financement, un tarif d’entrée au bal de Sceaux fut fixé à 75 centimes.
Les premières années, le bal se déroulait sous une tente puis en l’an X (1801-1802) une rotonde en bois qui pouvait accueillir 2000 danseurs fut construite. Elle comptait 24 piliers et un pilier central.
Jean-Louis Sinet, architecte et historien, auteur du « Précis de l’histoire de Sceaux » de 1843, relate que le bal accueillit des comédiens, des musiciens, des mimes, des danseurs, des physiciens, des ventriloques, des saltimbanques, des jongleurs et des escamoteurs. En 1810, le citoyen Palloy composa même une chanson pour l’ouverture du bal.
Chaque dimanche, près de 200 coucous parisiens, les fameuses voitures hippomobiles, stationnaient aux abords du jardin de la Ménagerie pour mener à Sceaux la société parisienne.
En 1820, Victor Hugo vint au bal pour y surprendre sa fiancée Adèle Foucher, venue s’amuser à Sceaux avec des amis. Adèle Foucher aimait beaucoup danser et le jeune écrivain l'observa alors passer d’un danseur à un autre sous la rotonde du bal de Sceaux. Ce fut un épisode douloureux pour l'écrivain jaloux et les strophes 3 et 4 du poème « Oh ! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage » publié en 1831 dans « Les Feuilles d'automne » sont directement inspirées de cet épisode.
Honoré de Balzac s’inspira lui de l'atmosphère du bal pour écrire « Le Bal de Sceaux », texte de la Comédie humaine publié en 1830 dans « Scènes de la vie privée ».
En 1846, la ligne de chemin de fer reliant Denfert à Sceaux fut construite et un nouveau public put venir à Sceaux. Les danseurs venus de Paris en train attendaient alors d'entendre à 23h la dernière cloche de la gare de Sceaux, située à proximité, pour retourner à Paris.
Au plus fort de son succès, près de 2500 voyageurs venaient au bal de Sceaux alors que la ville ne comptait pas plus de 2000 habitants.
En 1895, le premier tracé de la ligne de Sceaux disparu et le marché de Sceaux vit le jour non loin de l’ancien débarcadère. Petit à petit, les guinguettes de Robinson, construites jusque dans les arbres, se développèrent et le bal de Sceaux vit sa popularité diminuer. La rotonde en bois qui n'était plus entretenue par manque d'argent fut démolie en 1896. Des courts de tennis furent installés à sa place.
Une version du Bal de Sceaux, éditée en 1982 par la ville de Sceaux, et le Précis de l’histoire de Sceaux de Jean-Louis Sinet, publié en 1843, sont en vente à la Maison du tourisme.
Extrait du Bal de Sceaux, Honoré de Balzac, 1830
« Au milieu d’un jardin d’où se découvrent de délicieux aspects, se trouve une immense rotonde ouverte de toutes parts dont le dôme aussi léger que vaste est soutenu par d’élégants piliers. Ce dais champêtre protège une salle de danse. Il est rare que les propriétaires les plus collets-montés du voisinage n’émigrent pas une fois ou deux pendant la saison, vers ce palais de la Terpsichore villageoise, soit en cavalcades brillantes, soit dans ces élégantes et légères voitures qui saupoudrent de poussière les piétons philosophes. L’espoir de rencontrer là quelques femmes du beau monde et d’être vus par elles, l’espoir moins souvent trompé d’y voir de jeunes paysannes aussi rusées que des juges, fait accourir le dimanche, au bal de Sceaux, de nombreux essaims de clercs d’avoués, de disciples d’Esculape et de jeunes gens dont le teint blanc et la fraîcheur sont entretenus par l’air humide des arrière-boutiques parisiennes. Aussi bon nombre de mariages bourgeois se sont-ils ébauchés aux sons de l’orchestre qui occupe le centre de cette salle circulaire. Si le toit pouvait parler, que d’amours ne raconterait-il pas ! Cette intéressante mêlée rend le bal de Sceaux plus piquant que ne le sont deux ou trois autres bals des environs de Paris, sur lesquels sa rotonde, la beauté du site et les agréments de son jardin lui donnent d’incontestables avantages.»
Poème de Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, 1831
« Oh ! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage,
Si jamais vous n'avez épié le passage,
Le soir, d'un pas léger, d'un pas mélodieux,
D'un voile blanc qui glisse et fuit dans les ténèbres,
Et, comme un météore au sein des nuits funèbres,
Vous laisse dans le coeur un sillon radieux ;
Si vous ne connaissez que pour l'entendre dire
Au poète amoureux qui chante et qui soupire,
Ce suprême bonheur qui fait nos jours dorés,
De posséder un coeur sans réserve et sans voiles,
De n'avoir pour flambeaux, de n'avoir pour étoiles,
De n'avoir pour soleils que deux yeux adorés ;
Si vous n'avez jamais attendu, morne et sombre,
Sous les vitres d'un bal qui rayonne dans l'ombre,
L'heure où pour le départ les portes s'ouvriront,
Pour voir votre beauté, comme un éclair qui brille,
Rose avec des yeux bleus et toute jeune fille,
Passer dans la lumière avec des fleurs au front ;
Si vous n'avez jamais senti la frénésie
De voir la main qu'on veut par d'autres mains choisie,
De voir le coeur aimé battre sur d'autres coeurs ;
Si vous n'avez jamais vu d'un oeil de colère
La valse impure, au vol lascif et circulaire,
Effeuiller en courant les femmes et les fleurs ;
Si jamais vous n'avez descendu les collines,
Le coeur tout débordant d'émotions divines ;
Si jamais vous n'avez le soir, sous les tilleuls,
Tandis qu'au ciel luisaient des étoiles sans nombre,
Aspiré, couple heureux, la volupté de l'ombre,
Cachés, et vous parlant tout bas, quoique tout seuls ;
Si jamais une main n'a fait trembler la vôtre ;
Si jamais ce seul mot qu'on dit l'un après l'autre,
JE T'AIME ! n'a rempli votre âme tout un jour ;
Si jamais vous n'avez pris en pitié les trônes
En songeant qu'on cherchait les sceptres, les couronnes,
Et la gloire, et l'empire, et qu'on avait l'amour !
La nuit, quand la veilleuse agonise dans l'urne,
Quand Paris, enfoui sous la brume nocturne
Avec la tour saxonne et l'église des Goths,
Laisse sans les compter passer les heures noires
Qui, douze fois, semant les rêves illusoires,
S'envolent des clochers par groupes inégaux ;
Si jamais vous n'avez, à l'heure où tout sommeille,
Tandis qu'elle dormait, oublieuse et vermeille,
Pleuré comme un enfant à force de souffrir,
Crié cent fois son nom du soir jusqu'à l'aurore,
Et cru qu'elle viendrait en l'appelant encore,
Et maudit votre mère, et désiré mourir ;
Si jamais vous n'avez senti que d'une femme
Le regard dans votre âme allumait une autre âme,
Que vous étiez charmé, qu'un ciel s'était ouvert,
Et que pour cette enfant, qui de vos pleurs se joue,
Il vous serait bien doux d'expirer sur la roue ; ...
Vous n'avez point aimé, vous n'avez point souffert ! »